Fête des voisins.
Un matin un des marins appontés près de nous toque sur le coffre arrière. Je sors la tête pour le saluer et savoir ce qui l’amène.
– Ce soir on se réunit tous sur ponton : chacun porte quelque chose à manger et à boire. Samedi c’est le départ.
– Très bonne idée. D’accord : nous serons là aussi. À ce soir.
Et il continue sa tournée des bateaux.
Nous avons déjà chez nous l’habitude de nous réunir entre voisins dans la rue, devant la maison : au ponton, c’est inattendu. Mais l’initiative est bonne car jusqu’ici les rencontres se sont faites à bord, chez les uns ou les autres, selon les affinités.
En ce moment, la marina est pleine de marins qui lorgnent vers les Canaries et les Antilles. Nous serons donc nombreux ce soir !
Dans l’après-midi je commence à me demander ce que je vais bien pouvoir apporter sans pour autant devoir aller faire des courses. J’hésite entre la boite de pâté, basique pour les grignotages, et une salade composée, pas très pratique à manger debout sur le pouce.
Et pourquoi pas une pissaladière* ? Certes cela demande plus de temps de préparation mais cela changera des traditionnelles quiches et puis l’honneur de la maitresse de « maison » est en jeu : ce sera donc pissaladière !
Je commence par aller chercher de la pâte à pain chez le boulanger. De retour au bateau, j’épluche des oignons et les fais blondir doucement dans de l’huile d’olive. J’allume aussi le four pour le préchauffer. En fouillant dans le frigo je trouve de la crème fraîche, du fromage râpé, des olives noires …mais pas d’anchois ! Il faut que je revoie ma copie : sans anchois, ce n’est pas vraiment une pissaladière ! Mais il y a de la crème fraiche : je pourrais donc faire une flammeküche* : non impossible, il manque les lardons (En terre d’Islam c’est une denrée rare !).
Finalement je me décide : « pissalaküche » avec de la crème fraiche ou « flammière » avec des olives noires et …du fromage râpé, cela devrait bien se manger !
Faire avec les moyens du bord n’est pas ici un euphémisme : il faut savoir se débrouiller en toutes circonstances lorsqu’on vit sur un bateau, fut-ce au port !
Lorsqu’enfin la tarte est prête, j’enfourne. Mais voilà qu’après cinq minutes à peine, la rampe du brûleur s’étiole et s’arrête : la bouteille est vide. C’est comme le coup de la douche : chaque fois qu’on en a besoin, qu’on est en pleine action, c’est la panne sèche ! Je sors donc dans le cockpit, ouvre le coffre ad hoc et remplace la bouteille. (A ce sujet il faut dire que les bouteilles qu’on nous a vendues ici sont dans un état déplorable, cabossées en diable, impossibles à échanger en Europe. Mais au moins elles sont pleines, ce qui n’est pas un mince avantage). Enfin je rallume le gaz et la cuisson se poursuit sans mal. Une fine odeur de fromage cuit et de pain chaud envahit peu à peu délicieusement le carré et la croûte dorée qui se forme est bien appétissante…
Le soir chacun apporte son écot sur les tables empruntées au bistrot du port : qui du jambon de pays, des salades composées (légumes ou pâtes), du ceviche***… ; qui des pâtisseries, du pain, du guacamole ou du fromage … Moi, c’est « tarte salée sans nom »… mais qui étonnement trouve preneur en moins de deux : les petits carrés tièdes fondent comme neige au soleil et la planche à découper se vide à vitesse V ! La recette, inédite, est bonne, finalement !
Les victuailles s’entassent sans ordre précis, les bouteilles commencent à circuler et les invités affluent : la fête s’annonce bien !
Des petits groupes se forment. Les enfants, nombreux en ce moment, se faufilent entre les gens pour grappiller ; on parle voile, anglais, espagnol, enfants ou français… tout en levant les verres en trinquant au départ : marins de tous les pays, réunissez-vous ! Les amitiés nouées sur le ponton se font et se défont pourtant souvent sans préméditation : ainsi va la vie …et les bateaux !
Vers minuit, le ponton s’est totalement vidé ; les tables sont restées sur place. On les rendra demain. Le matin, un plat à four en porcelaine, un verre à thé et une fourchette cherchent leurs maitres… Tiens, mais le verre est à moi ! J’ai en effet proposé du thé à la menthe et du café avant de quitter le ponton pour rejoindre mon lit. Le plat et la fourchette sont restés par terre toute la journée : comment ne pas se souvenir qu’on les a apportés ? Ils vont forcément manquer à bord.
Le surlendemain les bateaux sont partis : j’ai adopté les orphelins !
* La pissaladière (niçoise d’origine) et la flammeküche** (née en Alsace) sont deux préparations à base de pate à pain et d’oignons. Mais tandis que la première demande des filets d’anchois et des olives noires, la seconde nécessite de la crème fraiche et des lardons. Aucune ne comporte du fromage râpé.
Ceviche*** : plat péruvien – Marinade de poisson au citron, oignons, piments et maïs. Ce soir-là le poisson a été remplacé par du surimi…