Poisson
Paul Eluard
Les poissons, les nageurs, les bateaux
Transforment l’eau.
L’eau est douce et ne bouge
Que pour ce qui la touche.
Le poisson avance
Comme un doigt dans un gant.
Le nageur danse lentement
Et la voile respire.
Mais l’eau douce bouge
Pour ce qui la touche.
Pour le poisson, pour le nageur, pour le bateau
Qu’elle porte
Et qu’elle emporte.
L’eau presque transparente a des fantasmes bleus ;
Sirènes, cachalots, mots gelés, îles-lettres,
Monstres qu’elle imagine et fait surgir à l’être,
Y compris, certains jours, des vaisseaux fabuleux.
L’eau presque insignifiante a des vues d’avenir ;
Elle projette en elle une muse nageuse,
Elle s’envole au ciel et redescend, neigeuse,
Et va sur l’Everest pour n’en plus revenir.
Nous aimons contempler ce monde issu de l’eau.
La vague, le reflux, le calme, la banquise,
Nous y voyons autant de figures exquises
Que fait venir à nous la fantaisie des flots.